Parmi les oeuvres fondées sur un style très complexe et sur des constantes mourantes, certaines
révèlent la manière dont le maître réussit encore à trouver la concentration nécessaire pour
s'occuper des parties moins contraignantes, c'est à dire de dimensions réduites, et pour repeindre
avec la "propreté" que nous lui connaissons (le terme utilisé par Vasari ne fait pas seulement
référence à des expédients techniques) les combinaisons pour exécuter les personnages qui ont déjà
été expérimentées au cours d'une laborieuse et intense profession. C'est le cas du petit ensemble des Offices, la Vergine e San Giovanni il Cristo e la Samaritana, il Noli me tangere, l'Annunciazione ( 1, 2, 3 et 4), probablement retouché par un collaborateur dans certains détails. Le Noli me tangere du Louvre, qui se souvient évidemment de celui de Bartolomeo conservé au même musée, est cependant une variante plus limpide et plus libre que l'exemple des Offices: l'action ne se déroule pas dans un jardin clos et cultivé avec ordre, mais au contraire dans une atmosphère plus ouverte, où les formes végétales se répandent ainsi que de brèves touches lumineuses, et où les reflets délicats d'un lac lointain se confondent avec la clarté du ciel. Les personnages se révèlent aussi plus souples et plus larges, en particulier la Madeleine, dont les épaules glissantes se confondent aux cheveux librement détachés et au manteau, qui accompagne la courbe que forme le corps. Évidemment les éléments de volume et de plasticité sont désormais exclus de la recherche de l'artiste, et peut-être que ce n'est pas un hasard si maintenant il se consacre plus particulièrement à une réflexion sur des expériences matures de Léonard, et dans l'Archange Michel, sacristie de la Cathédrale de Florence, oeuvre qui a été pendant longtemps négligée, Lorenzo tente une visualisation de l'espace en ne tenant pas compte des indications de perspectives linéaires. L'Archange tend le bras jusqu'à menacer presque l'observateur, et Lorenzo propose grâce à des éléments plus traditionnels et plus familiers l'extension du personnage dans l'espace. Datable autour de 1526, le saint-Michel est sûrement un des derniers témoignages de l'activité de l'artiste qui nous rappelle la formule pour la Vénus, la silhouette est beaucoup plus légère et s'allonge en ondulant et se tenant presque en équilibre dans la tunique autour des chevilles, d'un vert brun qui s'éclaircit par des nuances dorées pour s'accorder avec le rose-libes des manches et de la ceinture. Sous la peau ivoire du visage et des mains, on a l'impression que l'ossature manque, si bien que son attachement à la longue épée trahit la fragilité de son corps. Ces dernières oeuvres sont donc les méditations nostalgiques et solitaires d'un vieil homme de soixante dix ans désormais proche de son retrait définitif après une vie uniforme et ordonnée. Le testament qu'il fait n'oublie personne, il donne tout jusqu'au dernier florin aux servantes dont il se rappelle, à ses disciples, à ses parents les plus éloignés, aux concitoyens les plus misérables par l'intermédiaire de la Compagnia dei Poveri Vergognosi. L'artiste ne suit plus les publications de ses élèves et les successeurs de ses contemporains, tous disparus; peut-être qu'il n'a même plus de nouvelles, et il décide spontanément d'abandonner la profession, âgé mais probablement encore valide, puisqu'il mourra seulement six années après. Entouré par les fantômes des images qu'il a doucement mortifié pendant des années jusqu'à l'épuisement, il s'éteint lui-même dans un lent processus de consomption, en s'éloignant de son atelier, de ses outils, de ses feuilles de papier couvertes des études qui témoignent de son dévouement, de l'utilisation de toute son énergie spirituelle et matérielle, et de toutes ses capacités d'évocation et d'expression, dans lesquelles il a engagé toutes ses pensées, ses réflexions, ses émotions, ses curiosités et ses désirs. |
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