Orientation et activité de la première décennie
du VVIème siècle


La Crucifixion de Göttingen

C'est en fait dans le sillage de ces réflexions que Lorenzo compose la Crucifixion de Göttingen, cependant cette oeuvre picturale est à considérer plutôt comme une oeuvre graphique. Il s'agit probablement en fait d'une ébauche mais malgré les dimensions réduites, ou plutôt considérant les aptitudes de Credi, ce tableau représente le terme idéal de l'activité de l'artiste dans lequel se rejoignent les réalisations les plus pointues du professionnel.
La disposition traditionnelle des trois croix souligne la coupe rectangulaire du tableau en se servant de la réduction de l'élément horizontal dans les deux croix latérales. En revanche l'extension de ce même élément sur la croix centrale, insiste avec l'axe transversal sur la composition en la fermant nettement.
Le Christ est l'élément de fermeture et en même temps de raccord avec les autres personnages, c'est pourquoi il est disposé frontalement selon la tradition iconographique, le voleur à droite est peint d'une façon dure et âpre par Lorenzo par rapport au Christ: l'écartement des cuisses et des pieds du voleur crucifié, le tiraillement de ses épaules et de ses bras, la torsion douloureuse de son corps et pour finir un visage exprimant un pathos déjà connu chez certains peintres.
L'étude du nu identifié au Louvre par Degenhart appartient certainement à ce domaine des réflexions complexes, où dans les muscles contractés de l'abdomen et des courbes tendues des flancs, transparaît l'effort douloureux, forcé aussi par la position des bras ouverts et idéalement retenus. Avec le voleur crucifié de la peinture de Göttingen, cette image se pose comme un point de conclusion et de récapitulation de cette brève "galerie" des nus dans laquelle l'artiste engage chaque partie du corps dessiné comme s'il voulait le figer dans une sorte d'attente languissante et tourmentée.
Revenons à la lecture de la peinture de Göttingen, notre regard descend par le tronc lisse des croix, suivant l'indication évidente des pieds pour arriver au groupe des femmes qui gémissent: certains personnages trahissent des souvenirs de la Déposition de Verrocchio de Berlin, et plus encore la connaissance de la production tardive de Botticelli, de la Calunnia aux Histoires de Lucrezia à la Pietà Poldi Pezzoli, mais ni le tableau de Verrocchio ne peut se comparer aux drapés soufflés,au jeu complexe que Lorenzo réalise dans ce groupe, ni l'impétueux mouvement qui bouleverse les personnages de Sandro, Lorenzo, lui, donne quelque chose de plus qu'une impulsion en liant avec une cohésion et une interdépendance rigoureuse les cinq femmes de la Crucifixion de Göttingen.
On peut continuer la lecture par la femme à l'extrême droite toute ramassée dans le gonflement de son manteau, noué sur sa poitrine où elle croise étroitement ses mains, l'observateur lui, se dirige par l'intermédiaire du pied pointu de ce personnage vers la Madeleine agenouillée, il parcourt les mèches jusqu'aux longs doigts qui se rattachent au bras abandonné de la Vierge: personnage fait de vêtements délicats, celui-ci s'étend dans les spirales gonflées dans lesquelles s'estompent la forme des jambes, dans le ventre rond, et va ensuite en se resserrant vers la poitrine, où la ceinture serre avec force le corps abandonné en le tirant vers la gauche; et se termine avec la longue ligne ininterrompue des bras et des épaules dans lesquels la tête inclinée n'arrive pas à émerger.
La poussée qui vient de la tête et du coude tendu de la Vierge fixe à la quatrième femme un mouvement sinueux qui se prolonge jusqu'à la tête inclinée d'un côté, et le parcours de la composition, ultérieurement ralenti, après avoir tourné autour du cou et des épaules de Marie debout entre les croix, suivant les tours de la légère écharpe claire, s'achève dans le large mouvement des bras de celle-ci et dans ses mains grandes ouvertes comme des ailes.

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