Les retables de la décennie
1490 - 1500


Le Baptême du Christ

Le Baptême ( 1 et 2) commandé pour le Grand Retable de la Confraternité de Scalzo, avec le Retable Mascalzoni et l'Adoration des Bergers pour Santa Chiara, est l'une des commandes les plus engagées que reçoit l'artiste à cette époque: l'oeuvre est en relation, comme on l'a remarqué plusieurs fois, avec le Baptême de S. Salvi, mais Lorenzo, partant comme d'habitude d'un format carré, élimine la élaboration léonardesque (voir le Baptême de Verrocchio), et se rattache en revanche à la disposition que cette élaboration avait emporté, et qui ne sortait pas des limites proposées par le schéma symétrique de Baldovinetti. Le gros rocher à gauche qui répond à celui de droite, le troisième ange qui élève en pyramide le groupe opposé au Baptiste, ces éléments ne sont pas restés à l'état de traces éphémères dans le milieu de Botticelli, mais plus clairement ici, dans cette oeuvre de Credi que nous voyons toujours renoncer à suivre Léonard quand celui-ci renverse et détruit la syntaxe du Quattrocento, et surtout dans les oeuvres qui, comme celle-ci, ont été conçues en fonction de leur utilisation publique à laquelle elles sont destinées.
Presque privé d'idées créatives, le Baptême s'achève dans des effets sentimentaux, dans le personnage du Christ la structure de la Vénus est mortifiée, et dans une série de contrepoints: les anges se penchent vers le Christ, celui-ci se disperse vers la droite et Baptiste en freine la poussée avec le bras qui soutient la jatte.
Il faut aussi ici chercher sur le fond, et avec une loupe, les détails les plus valables, comme les petits personnages (comme on peut le voir chez Verrocchio), en partie éliminés par la réduction de l'image, qui sont disposés délicatement en cercle et donnent un prélude aux rythmes qui sont liés et qui unissent les Marie dans la Crucifixion de Göttingen.
Le paysage, le feuillage, les arbres penchés par des escarpements rayent le ciel, avec les racines découvertes et pendantes révèlent le début d'une correspondance, plus qu'intense, avec Piero Di Cosimo.
C'est aussi ce qu'on peut dire pour l'Adoration de la Galerie de l'Académie, et aussi pour le Baptême qui marque le retour à une échelle chromatique plus douce et plus terne, basée sur le contraste fondamental parmi les bruns (ivoire, jaune, vert pourri) et les bleus ou gris, avec des ajouts un peu étouffés de rose et de mauve.
L'empreinte d'austérité propre à cette série est pourtant particulièrement évidente dans l'Adoration et dans la Maria Egiziaca, autrefois conservée à Berlin mais détruite pendant la dernière guerre, et dans le San Francesco d'Ajaccio: les corps sont d'une structure plus forte et plus sèche, les drapés sont plus sobres et étendus, et dans les paysages les architectures en ruine, les gros rochers massifs sont de plus en plus envahissants, les pentes abruptes, se substituent aux larges surfaces réfléchissantes des lacs et des fleuves, des pentes douces, des villes irréelles.
C'est vraiment cette correspondance entre l'articulation solide et schématique des corps et des traits essentiels du fond qui préservent les tableaux avec les deux saints qui dégagent de l'extase et de la dévotion par leurs yeux soulevés. Un style qui rejoint celui de Pollaiolo et celui du style "aspro" d'une puissance graphique sans précédent de Mantegna.
Si le rapport se révèle moins rigoureux dans la Maria, qui plie son torse massif et se cache sous le manteau des mèches lourdes comme des cordes, le San Francesco au contraire, au corps érigé et étalé dans les bras ouverts, dans les mains levées, dans les jambes séparées, tout est établit sur des dispositions et des entrecroisements anguleux, de sorte que le personnage, couvert d'un froc épais en plis légers et divisés, parait fait avec la même pâte que la masse rocheuse située derrière, privée d'arbres et couvertes seulement de mottes d'herbes.
Toute la composition apparaît plus compacte et soutenue, et en fait la tête du saint ne sort pas du profil du rocher, alors que le crucifix qui occupe une portion mineure de l'ange volant dans la peinture de Marie, pèse sur le saint déterminant un plan parallèle à la ligne ascendante indiquée par la main de San Francesco, par sa tête, et le contour des roches.

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