Dans l'Annonciation des Offices (1 et
2) sont contenus certains des éléments rencontrés
dans la Pala Mascalzoni (comme le visage de la Vierge assez ressemblant), laquelle est certainement
proche chronologiquement, d'autre part l'Annonciation aux dimensions réduites, destinée à un
public limité et sélectionné, exige une lecture plus attentive et plus minutieuse. Dans ces conditions elle réserve beaucoup de surprises agréables à qui l'approche sans préjugés et respectueux de la formule traditionnelle du thème traité, d'un Lippi et d'un Baldovinetti. Avec des graphiques opportunément étudiés on peut déjà mettre en évidence les calculs, les symétries, les rapports proportionnels établis, ce qui ailleurs est vraisemblablement révélateur d'un caractère obstiné, parfois maniaque, ici le style est plus expressif, parmi les différentes composantes du cadre architectural et aussi dans les parties les plus mobiles et les plus évasives, comme les personnages aux vêtements gonflés d'air, la brèche de lumière qui pénètre dans la pièce, le chemin lumineux qui s'enfonce dans le paysage désert. Néanmoins on doit insister ultérieurement sur l'articulation scandée de peu d'éléments modulaires, placés par l'artiste sur un même plan, ou, en diminuant petit à petit les dimensions, sur des plans différents, comme on le voit dans les seuils répétés trois fois dans la moitié inférieure (avec l'ajout de la balustrade qui sépare la pièce des arcades) et des corniches tendues horizontalement ou courbées dans les cercles et dans les arcs en plein cintre. En se servant de ces lignes, il coupe avec des incisions successives l'embrasure à laquelle on accède grâce à une marche, et qui est limitée avec rigueur par des plans du sol et des murs à gauche, par les masses partiellement visibles du lutrin et du lit à droite (l'absence de cette partie est due à une limitation de la symétrie du lieu et indique un emplacement riche en signification à l'intérieur de la thématique de Credi, d'autre part l'ouverture reste sur un plan purement théorique), par une disposition d'angles déterminée par des plafonds de hauteur différente qui couvrent l'intérieur et les arcades, ces dernières sont mesurées idéalement aussi grâce aux bandes de clair-obscur du sol. Les lignes directrices qui indiquent le système de perspective, convergent par deux sur l'axe central mais dans des points divers, et très éloignés les uns des autres: voilà pourquoi on parvient sans problème au lumineux panneau central, approximativement équidistant des bords horizontaux et verticaux du profil de l'oeuvre qui semble avoir été coupé net pour bloquer le récit sur un fil suspendu d'un moment encore serein qui précède l'annonce. L'intérieur de la chapelle des Pazzi, ou mieux le point de vue inhérent du côté intérieur de la façade, semble avoir été l'objet de méditations particulières dans cette tentative ultérieure de projeter en surface l'espace opportunément gradué et fixé dans ses dimensions. En fait la disposition de l'encadrement, et la formule architecturale dans son ensemble trahissent les références à la structure de la chapelle. Du reste, l'oeuvre qui récapitule en multiples éléments des solutions déjà élaborées par Credi, c'est aussi cette oeuvre qui témoigne le plus clairement de la nostalgie de l'artiste pour un monde étroitement coordonné et réparti de Brunelleschi, évoqué de nouveau dans des rapports insistants, dans des formes spécifiques et dans des combinaisons mesurées des piliers, des colonnes, des chapiteaux, des corniches, des coupes quadrangulaires et circulaires. Le cadre si limpide et si linéaire adouci et personnalisé par le vernis uniforme de la décoration en grisaille ne se trouve pas ailleurs. L'authentique protagoniste qui conditionne la structure et l'élaboration chromatique de l'ensemble, du paysage ensoleillé et incohérent (on observe une discontinuité des éléments dans ce paysage, la partie du paysage dans l'arcade centrale et celle dans l'arcade de droite sont continues et vont ensemble, alors que la partie du paysage dans l'arcade de gauche ne semble pas correspondre, s'agit-il d'une erreur de l'artiste ou cela relève t-il d'une volonté délibérée ?), à l'intérieur où tons brun et rouille sont dominants et sont à peine interrompus par des verts et des bleus assez ternes des drapés, à la narration scandée et monochrome de la fausse prédelle. Si ce choix participe à une expérience générale, qui voit le changement des formules décoratives qui viennent de la sculpture, où elles sont très divulguées dans les premières décennies de la seconde moitié du siècle, dans la peinture, Lorenzo, attentif comme toujours aux flexions du style, est l'un des premiers à les interpréter, parfois à les encourager, et il ne se limite pas à additionner des thèmes d'extraction variée. En revanche, il les sélectionne soigneusement et les interprète dans une combinaison qui ne manque pas d'éléments originaux: telle la fausse prédelle, tels les chapiteaux, renouvelés selon des solutions formulées dans ces années sur les chantiers du Palais Strozzi et de la Sacristie de Santo Spirito. Avant 1494 se déroule à Florence la brève et intense période savonarolienne. Bien qu'on manque de documents qui assureraient la participation effective de Credi au mouvement de réaction des "piagnoni", il est compréhensible que depuis Vasari et après, et particulièrement de la part d'interprètes plus superficiels, la spécialisation de l'artiste dans le domaine de la production à caractère religieux et intimiste, ait été admise comme le fondement pour une classification expéditive de Lorenzo, devenu du simple sympathisant, le partisan le plus convaincu et le défenseur des prédications de Savonarole parmi les artistes. En outre l'avènement de Savonarole aurait ultérieurement abaissé le niveau de sa modeste production, puisqu'à partir de ce moment l'artiste se serait consacré exclusivement à élaborer des déclarations de dévotion et de repentir. Chastel aussi, qui dans d'autres occasions évalue avec subtilité la position de l'artiste, affirme qu'il fut "dès le début, parmi les sectateurs du mouvement" et se préoccupe en revanche de contester l'adhésion de Botticelli à ce mouvement, qui reste aussi assez énigmatique. Comme on l'a déjà observé, le sérieux et la maniaquerie que Lorenzo emploie pour la réalisation de ses oeuvres sont des éléments essentiels de son activité depuis ses débuts, pas toujours pour ses propres oeuvres, mais plutôt pour les nombreux et plus généralement pour les disciples les moins doués. Même après 1500 l'artiste fait preuve de vitalité créatrice, bien qu'il soit juste d'admettre que la période de première maturité, entre 1485 et 1495, est la plus riche en témoignages poétiques. On ne peut nier leur rapport aux sermons de Savonarole, ou aux années immédiatement postérieures, une série d'Adorations et de Santi in preghiera dans lesquels la destination religieuse et la fonction sociale se manifestent d'une façon plus oppressante: ceci se justifie déjà d'un point de vue formel, que Lorenzo exploite au maximum et jusqu'à son épuisement l'expérience du style du Pérugin, et pourtant il est possible que même Savonarole, à la personnalité agressive, ait eu un rôle dans le fléchissement progressif de la thématique de Lorenzo, mais seulement dans un sens bien déterminé. Nous savons que pour Savonarole l'art doit être impérativement le reflet de la religion catholique et de son puritanisme extrême. Son tempérament passionné et ses théories basées sur une formation culturelle des principes du Thomisme font qu'il reste méfiant face à la recherche humaniste. Par conséquent ses moyens sont limités pour communiquer valablement avec les artistes sur le terrain figuratif. Il est donc compréhensible que beaucoup se désintéressent de ses enseignements, alors que ceux qui prêtent attention n'en tirent que de la confusion et de la désorientation: certains, comme Fra Bartolomeo, cessent temporairement de travailler, et d'autres, comme Lorenzo probablement, donnent leur préférence pendant quelque temps à la production destinée à un large public, et s'efforçant de la rendre "populaire", c'est à dire plus réaliste et immédiatement accessible à tous dans sa signification extérieure, repoussant en d'autres occasions ou poursuivant dans la plus intime et personnelle activité graphique les plus pressants et les plus consistants problèmes de forme. Ceci explique la montée de l'austérité des compositions de Lorenzo et celles d'autres artistes, la disposition des Vergini bambine et des saints très jeunes, la prédominance des formulations narratives, enrichies de tous les éléments de l'iconographie traditionnelle, dans les Adorations maintenant le personnage de Saint Joseph ne manque plus, la cabane en ruine, l'âne, le boeuf, la représentation de la bonne nouvelle apportée aux bergers; des saints méconnaissables apparaissent, comme celui de Pasadena ou comme l'incertaine Maddalena de Esztergom ( 1 et 2). Du reste il est clair que la crise savonarolienne constitue seulement un aspect et un épisode d'une situation plus complexe, d'incertitudes et de difficultés qui ont des origines plus lointaines: la culture florentine donne l'impression de se désagréger sous l'effet des évènements, au moment d'accomplir ses promesses. Mais comment ne voir dans cette crise finale qu'une suite d'accidents extérieurs ? L'ineptie politique de Pierre, l'invasion française, la révolution "piagnone" ont révélé le malaise et précipité une défaillance qui s'annonçait depuis longtemps ", et en fait les certitudes effrontément exprimées dans la première moitié du siècle, éclatent par la personnalité de leurs formidables partisans, elles vacillent. Pour Lorenzo, c'est un moment de stagnation créative, d'ailleurs non absolue, qui ressent un manque général d'idées et un isolement dans lequel méditent et travaillent les contemporains les plus géniaux. Mais en peu de temps, dans ses ressources inépuisées d'une personne qui élabore passionnément et constamment, Lorenzo trouvera encore quelques étincelles d'intérêts et d'engagement pour poursuivre seul le cours de son travail. Nous datons environ entre 1495-1500 les Adorations des Offices ( 1 et 2), de la Galerie de l'Académie, des musées de Berlin; le Baptême de San Domenico ( 1 et 2), la Maria Egiziaca et le San Francesco d'Ajaccio. |
Page précédente | Le sommaire | Page suivante |
Les tableaux |