Le vingt février 1493, on place dans l'église de Santa Maria Maddalena de'Pazzi la Madone entre
Saint Julien et Saint Nicolas, aujourd'hui au Louvre (
1 et
2),
exécutée par Credi pour la chapelle des Mascalzoni, dédiée justement à Saint Julien. La commande
date probablement de quelques années avant, lorsque commencent les travaux pour la construction de
la chapelle (1489). L'église de Cestello ou de Santa Maria Maddalena de' Pazzi est à ce moment une des plus admirées pour les oeuvres d'art qu'elle renferme. Effectivement, en plus du tableau de Lorenzo, s'y trouvent d'importantes peintures de Ghirlandaio et de Piero Del Pollaiolo. Le Pérugin peint à fresque en 1490, dans le couvent annexe, la grande Crucifixion. La tâche confiée à Credi par Filippo Di Franceso Mascalzoni révèle donc la valeur d'une indiscutable preuve d'estime dont jouit l'artiste à un peu plus de trente ans. Lorenzo a jusqu'à ce moment exécuté un seul tableau de grande dimension, celui de la cathédrale de Pistoia. Cette estime présuppose en même temps de la part de Lorenzo l'exploitation de toute l'expérience accumulée dans l'exercice aussi méticuleux et surveillé d'une profession qu'il a absorbé depuis au moins quinze ans. Comme dans le retable de Pistoia le format est carré (même sans la prédelle et la cimaise qui existaient auparavant mais qui ne sont plus rattachées au retable aujourd'hui), l'intérieur est fermé dans la partie centrale et ouvert sur les côtés, la position des personnages est frontale pour la Madone, oblique pour les deux saints. Dans les Conversations les personnages occupent trois zones distinctes de la superficie du tableau, chacune empiète un peu une partie de l'autre. D'autre part le problème de l'espace n'est plus pressant et dense comme au début de la décennie précédente, et la composition développée dans des plans très rapprochés impose une réorganisation des rapports entre les personnages eux-mêmes et les personnages et le fond, et impose de nombreuses modifications dans la structure du support architectural: les marches de la nouvelle prédelle atteignent en fait l'extrémité de la peinture et les saints sont insérés dans la partie formée par la dernière marche, restant en ligne avec celle-ci. Le siège ne sort pas du parapet, la niche centrale est peu profonde, les ouvertures hautes et étroites n'introduisent sur aucun paysage, elles sont fermées en grande partie par les personnages et par les arcades. La concentration de la vision s'appuie uniquement sur la situation oblique et d'inclination convergente des saints, sur les marches hautes qui se resserrent clairement dans le passage de l'une à l'autre, sur les arcades pesantes qui annulent le trop fort contraste de la partie centrale, fermée et opaque avec les arcades latérales, ouvertes et lumineuses. Lorenzo propose dans la partie supérieure le schéma selon lequel les personnages sont disposés: la Madone est la plus élevée dans la partie centrale et en dessous les deux saints légèrement courbés sur les côtés. Cette disposition respecte la hiérarchie religieuse, la Madone étant la mère de tous les chrétiens et leur protectrice, elle est donc placée au-dessus des autres. Ce panneau est influencé par le Pérugin et cela se voit dans la disposition symétrique des personnages fixés dans des ondulations maniérées, et la structure en bois divisée par des corniches, par des rainures sobres et nettes et décorée par d'élégants candélabres: cependant il ne s'agit pas de formes nettement caractérisées, le rapport apparaît clairement avec les limpides arcades qui se répètent, les chapiteaux coupant, des piliers parcourus de vrilles dorées des plus célèbres retables du Pérugin, de la Conversation de Crémone, à celle des Offices, au Saint Sébastien du Louvre. Cette orientation spécifique exalte et soutient aussi la concentration de Credi sur les valeurs du rythme, dans lequel on recueille, ici plus qu'ailleurs, la frêle vitalité de l'oeuvre: L'axe central du tableau coïncide avec celui de l'arcade médiane, et, en plus de le diviser en deux, comme les axes des arcades latérales, une des trois personnes, conditionne le système de perspective des marches, imposant le point de vue centrale, souligné par l'artiste et grâce aussi à l'échappée voyante qu'offrent les ouvertures latérales. Les plans convergents déterminés par les deux saints, et surtout par le gonflement du retournement de leurs manteaux, cernent l'espace aux côtés du groupe de la Vierge avec enfant, et concrétisent la gravitation de toute la composition vers ce dernier. Les mains jointes de Saint Julien d'un côté, et les plans du livre grand ouvert de Saint Nicolas de l'autre limitent l'expansion de l'enfant en avant et lient la main bénissante de celui-ci et le bras de la Madone. Avec des pauses et des cadences marquées, le cours de la composition se dénoue le long des jambes fuselées de Saint Julien, et s'attardant dans le cercle mou des chausses, il remonte et se replie le long du profil du visage, des épaules, de l'auréole de Saint Julien, soulignée par la disposition limpide de l'arcade, et par les mains tendues en avant qui viennent se lier à l'enfant, placé sur une unique courbe glissante du ventre de la mère. La lecture de l'oeuvre passe par la ligne saillante du bras de la Madone, et après avoir effleuré avec les larges tours du voile le sommet du système, se dirige vers Saint Nicolas: le temps de la vision semble ici s'accélérer le long des plis filiformes du manteau; seulement dans la large inclination du genou nimbé de lumière, et enfin le parcours ralenti avant de mourir au sol. La matière picturale, dans les plis épais des drapés qui avec discipline dirigent et poussent le regard de l'observateur, est extrêmement lisse et resplendissante, avec une entière adhérence à la préciosité recherchée de l'illustration. La gamme chromatique riche en variation comprenant aussi certains contrastes importants, dans certaines zones d'ampleur limitée s'alternent le rouge clair et le violacé, que le gris opaque du fond soutient avec un résultat positif: le recours au style flamand se renouvèle nettement, et trouve son application décisive et éclatante dans l'Adoration des bergers pour l'église Santa Chiara ( 1 et 2). |
Page précédente | Le sommaire | Page suivante |
Les tableaux |