Oeuvres de jeunesse
Premières peintures à vocation religieuse.

De multiples rapports effectués sur les deux saints du retable de Pistoia situent parmi les oeuvres primitives le San Bartolomeo de Orsanmichele, ainsi que Vasari toujours très attentif quand il s'agit de nouvelles à propos de la production de Lorenzo le place dans la période de jeunesse de ce dernier. Le personnage érigé et bien établi déclare en fait son antériorité pour ce qui concerne les lignes fluides, et annonce en même temps les silhouettes ondulantes et flottantes de la décennie suivante, ainsi que les drapés accumulés en plis épais qui recouvrent toute la personne, révèlent le moment où Lorenzo est encore attentif au maître, c'est à dire le Verrocchio de l'Incredulità di San Tommaso: toutefois Andrea s'exprime essentiellement par un amas envahissant et irrégulier des drapés. Tandis que Lorenzo soupèse et distribue chaque pli, chaque partie du corps selon un équilibre rigoureux, réalisant une coordination des lignes directrices et des points de force qui conduit à des effets de cohésion statique: le bras qui empoigne le couteau est disposé en ligne avec la jambe droite, elle même solidement plantée sous les plis en forme de V formés par le manteau bleu, presque blanchâtres dans les zones éclairées.
L' autre jambe, fermée dans l'armure cylindrique du vêtement rouge, n'a pas la même consistance massive, seule la partie qui va du genou au pied penché par l'édicule et qui par conséquent équilibre le bras avancé de l'autre côté. Tous les éléments composant le côté droit du personnage, la jambe, la hanche à peine penchée, l'épaule baissée, tendent vers l'extérieur, ils sont saisis par autant de mouvement de traction qui pointent de la gauche vers le bas, vers la droite en haut et de l'extérieur vers l'intérieur: c'est à dire l'ourlet du manteau qui se laisse tomber sur le pied et qui remonte tendu vers le haut, le jeu des plis qui s'accrochent au bras gauche. La clé de ce montage serré, le large revers d'un vert lumineux et tendre qui de la ceinture s'étend sur la poitrine. Avec ce jeu chromatique interne, une écharpe jaune bloque l'épaule droite, s'opposant à la poussée qu'exerce la tête et le cou.
Ensuite Lorenzo s'orientera vers des rythmes plus lents, cependant, quand on le regarde bien, on pressent déjà dans ce Saint Barthélémy, la Vénus.

La Madonna col bambino e San Giovannino de Dresde ( 1, 2, 3 et 4) contient elle aussi beaucoup de modules spécifiques à Credi. Elle présente un schéma qui dans les lignes les plus générales, reste isolé; il s'agit certainement d'une des premières oeuvres, et elle offre une contamination intéressante de formes léonardesques (elle a été attribuée à Vinci ou considérée comme une copie d'une de ses premières peintures perdues) et flamandes, se révélant conçue dans le sillage des oeuvres dites de "style flamand" de Léonard, comme l'Annonciation des Offices, la Madonna del garofano, la Madone Benois.
La mise en scène complexe rappelle justement cette dernière, dans laquelle cependant la masse du corps se dilate jusqu'à occuper presque toute la surface du tableau. Credi, lui réduit les proportions des personnages; accordant une plus grande importance à l'intérieur: toutes les lignes de perspective convergent en un point qui n'est pas au centre du cadre, mais plutôt placé à droite, à hauteur du nez de la vierge, ce qui permet d'étendre au maximum la représentation du lit, dont l'artiste se plait à peindre des rideaux gonflés et tordus. La découpe de la tête de lit, l'amphore à peine éclairée permettent de souligner l'ampleur et la profondeur de l'endroit.
Lorenzo, ignorant les possibilités offertes par les dites "valeurs atmosphériques" à recours à des expédients du Quattrocento et rapetisse la fenêtre, il en accentue l'emplacement peut-être maladroit grâce à une plus large ouverture du volet et une épaisseur augmentée de l'ombre à l'intérieur même de la niche (où se trouve cette fenêtre).
Le parcours de la vision s'avance ultérieurement dans la typique campagne de Lorenzo. Conscient des modifications apportées à la structure de l'intérieur inventé par Léonard, l'artiste ressent en fait la nécessité d'insérer dans cette petite fenêtre ce village qui manque dans la Madone Benois (mais s'agit-il véritablement d'un élément inachevé ou plutôt d'un étalement déjà exhaustif, laissé "en blanc" ou bien "effacé" pour des exigences d'équilibre de lumière ?). Même le point de vue très rabaissé devrait permettre la seule apparition du ciel.
Quant au groupe des personnages, il semble que le buste de la vierge, très proche de celle de la Conversation de Pistoia, rappelle aussi l'étude pour la Madone avec enfant de Dresde, qui a été exécuté par Léonard pour la petite Madone Duveen; et il semble aussi évident que l'enfant dérive de celui de la Madonna del garofano: pourtant si on observe le dessin la robe de la vierge, pantelante grâce à de nombreux plis et qui scintille comme une surface rugueuse et glacée. Et si l'on compare avec les plis réguliers et disciplinés, avec des gonflements tendres de la robe de Credi, assez opaque, le point de lumière sur les petits boutons, les reflets fugaces qui courent sur la manche et sur les cheveux.On dit que ce tableau, est parmi les tableaux de jeunesse de Credi, le plus proche des réalisations contemporaines de Léonard.
Ainsi l'enfant qui semble flotter dans la Madone à l'oeillet est désormais figé dans la peinture de Lorenzo: la jambe gauche, non plus soulevée, elle s'appuie sur celle de la mère, la tête n'émerge pas de la courbe de l'épaule de la vierge qui détermine une des lignes directrices d'un schéma pyramidal discipliné.
Tout le groupe est un agencement de lignes harmonieuses, de rythmes curvilignes et de rondeurs marquées par des courbes épaisses: le visage ovale de la Madone qui se brise par des tresses lourdes, dans les courbes du voile, l'anneau rigide que forme le décolleté, les bouffants et le volumineux retournement de la manche effectué par un ourlet soulevé et pantelant et en fin le gonflement exaspéré des putti.

La Madone de Turin présente un schéma qui ne s'est pas répété exactement dans la production de Lorenzo, néanmoins les modules des mains de la vierge et de l'enfant sont les mêmes que la petite Madone de Dresde, ainsi que d'autres détails (le paysage, la coiffure et l'intérieur) qui rappellent alternativement ceux de deux autres madones (Magonza et Turin, 1, 2 et 3) liées entre elles grâce à des affinités de compositions étroites.
Des trois, la première est certainement la plus ancienne et montre en fait une matière picturale assez grossière, non seulement des exigences prononcées de structure et de stratification des plans.
La composition avance en fait à droite avec le bras frappé de rehauts, le siège et le mur dont le fondu est souligné par l'avancée des deux pilastres; le mur du fond signe un arrêt dans ce parcours, une pause qui soutient le lent déploiement du groupe des personnages entre la cavité retentissante du manteau bleu. Tandis que le verre avec des fleurs (un recours très épisodique à la technique de Van der Goes), se trouvant en position symétrique par rapport au bras au premier plan, indique un déplacement dans le sens opposé c'est à dire vers la fenêtre et le paysage du fond, dont la lumière imbibe les larges corolles.

La Madonna del latte de Magonza ( 1, 2 et 3) représentée entièrement, revient à un système approximativement rhomboïdal (voir le retable de Pistoia) que l'on reconnaît dans l'escalier réduit et aussi dans les soulèvements gonflés du corps de l'enfant. Le choix d' un emplacement en plein air est en étroite relation avec l'abondance des détails précieusement élaborés dans les formes végétales, à ce moment Lorenzo s'abandonne (probablement peu après 1485) à une dominante méditation flamande. Même le vase, malgré le rapport incontestable avec celui représenté par Léonard dans la Madonna del garofano, semble s'apparenter directement au style flamand: au-delà de la simplification de la forme léonardesque, en éliminant les manches et en substituant les franges par des petites corolles de rose et de simples fleurs en forme d'étoile, Lorenzo altère complètement la substance picturale de l'objet.
D'un côté l'objet de Léonard émerge en fait de l'ombre par des luminescences frétillantes et celui de Lorenzo acquiert un éclat brillant des rehauts larges, rares et bien organisés et donne une consistance plus précise du volume, et il en ressort une manière simple.
L'épuisement de cette formule, pliée et variée avec légèreté jusqu'à l'exaspération, ceci se perçoit clairement désormais dans la Madonna del Tobiolo de la National Gallery de Londres dans laquelle les solutions précédentes s'avèrent résumées et exploitées jusque dans les dernières conclusions.
Nous sommes désormais proches de 1490, c'est à dire dans une autre grande série de peintures à caractère religieux, le Tondo Borghese, l'Annunciazione des Offices, la Pala Mascalzoni, pour lesquels Lorenzo imaginera des plans plus complexes et des formes de décoration plus rigoureuses.Dans la Madonna del Tobiolo, les surfaces des visages et du corps exagérément arrondi de l'enfant, les effets métalliques des cheveux et des fleurs offrent à l'artiste des motifs d'engagement plus intellectuels. L'articulation de l'architecture (qui anticipe le portique de l'Annonciation des Offices) ainsi que celle du paysage sont plus que jamais élaborés.

Ainsi dans l'interprétation d'un autre thème à caractère religieux et très diffusé, la Vierge adorant l'Enfant, Lorenzo semble produire en série, des morphologies et des types de schémas et de plans qui diffèrent de ceux d'inspiration léonardesques et en partie inspirés par Botticelli vus dans les madones; comme déjà dans le retable de Pistoia.
Toutes ces oeuvres, ainsi exécutées en partie dans les années immédiatement postérieures à 1485, quand Lorenzo avait environ trente ans, peuvent être considérées comme des témoignages de l'activité primitive, même si les plus tardives exploitent des thèmes, des expériences et des réflexions déjà développés précédemment.
Ainsi le Tondo Borghese, situé autour de 1490, qui dans le domaine de la production crédienne à caractère religieux représente le fruit le plus mûr des recherches de jeunesse, malgré certaines caractéristiques d'épuration et de sobriété qui sont un prélude aux plus amples et plus austères compositions de la dite période "savonarolienne".
Le format rond, déjà très étudié par Lorenzo, il le reproposera seulement deux fois dans les années suivantes, en revitalisant cependant la composition d'éléments nouveaux et conditionnés; c'est assez compliqué, comme dans le Giovane santo de Pasadena, par un schéma polygonal qui met en évidence les points de référence choisis par l'artiste pour construire et équilibrer harmoniquement le support carré en bois et la légèreté du groupe de personnes, qui se penche plus que d'habitude.
A l'inclination de la tête de la madone s'oppose initialement la torsion du cou, derrière lequel s'enferment des rythmes à forme ovale des cheveux et du voile, alors que la torsion des épaules et du buste est à peine perceptible, ils ne sont pas frontaux comme dans les Vergini delle Conversazioni de Pistoia et du Louvre (dont le torse représente le pivot des compositions quadrangulaires) mais plutôt légèrement orientés à gauche.
Le San Giovannino, est accueilli dans la niche gonflée du manteau, il est poussé en avant vers la droite pour équilibrer l'expansion opposée, et l'enfant, qui n'est presque q'un noeud de peau et de voiles gonflés, reste suspendu et plane sur le coussin gonflé.
La disposition symétrique du verre fleuri et du missel correspond à la distribution équilibrée des protagonistes. Ces objets sont posés sur une étagère comme sur les plateaux d'une balance.
Cette distribution équilibrée correspond aussi aux masses rocheuses et végétales qui émergent des coupes du paysage: le long des flexions des sentiers et des fleuves une stratification chromatique très nette qui sépare successivement les dessus couleur vert pourri au premier plan par des gros rochers bruns et par des arbres vert bleus plus lointains jusqu'au bleu clair et dilué des monts et du ciel, qui s'obscurcit vers le haut pour souligner la courbure du rond (tondo).
Certaines études pour le visage de la Madone et pour l'enfant sont des antécédents véritables des trois éléments composés dans le Tondo, dont Lorenzo a probablement étudié le schéma général.
Le dessin de Darmstadt précède de quelques années la peinture et trahit la tentative d'adapter la formule expérimentée dans la Madonna col San Giovannino de Dresde dans un format semi-circulaire ou rond. Et les parties qui le composent, poursuivant dans certains cas ce poli verni qui dans la peinture se révèle compliqué par l'effet chromatique.
Justement sur ces deux plans il est nécessaire de considérer et d'apprécier le Tondo qui d'un côté est plastiquement élaboré dans les étalements blancs, roses et jaunes qui s'insèrent dans le bleu dominant, c'est encore dans le respect de la tradition de Luca della Robbia, et les études pertinentes de l'oeuvre.
Les parties avec bistre et blanc de céruse très dilués sur le lin fin ou sur du papier teint, c'est à dire sur des matériaux très absorbants où l'effet de lumière, contenu entre le blanc et le noir (ou blanc et rose, blanc et rouge), s'avère plus intense et reflète une méditation léonardesque mature qui se vérifie autour de 1490.

La Testa femminile plus proche de la vierge du Tondo, qui rappelle par la torsion tendue du cou, presque forcée, montre encore, malgré la détérioration des tracés, l'habitude déterminante de Credi qui fait ressortir progressivement l'image, passant par un léger enchevêtrement des cheveux et des voiles au compact modelage du visage.
Une autre célèbre tête apparaît plus indépendante, surtout pour la qualité élevée qui la distingue et qui justifie les propositions attributives de la critique à Léonard et à Fra Bartolomeo. D'autre part la splendeur tendrement diffuse sur les rondeurs du visage, la définition exacte des petites lèvres serrées, du menton rond sillonné par des plis presque infantiles, du front et des bords épais de l'oeil à peine creusé dans les cavités orbitales, indiquent cette fidélité tenace à ses morphologies qu'on observe dans les images exécutées par Credi qui contiennent des intentions et des procédés divers.
L'étude représente donc pour nous le prototype le plus intense et le plus réussi des innombrables Madones peintes, comme pour les Putti, le bambino seduto conservé aux Offices, dont les membres sont dilatés ainsi que le visage dilaté par des joues gonflées, successivement immobilisé dans une position typique, celle des bras levés par la déferlante ondée lumineuse.
Dans une autre Testa des Offices qui cependant appartient au même domaine de recherches, la technique est un peu différente. Effectivement Lorenzo complique l'insertion du visage, celui-ci est fixé dans un éclat qui se reflète sur toute la surface, entre un voile drapé sur la tête et sur les cheveux, tordu en plis pâteux et moelleux qui font allusion à une consistance plastique et mesurée: il est probable que l'étude soit ultérieure par rapport à la brève série citée, et est un prélude aux raffinements et à la prédominance des éléments décoratifs accentuée de la Conversation du Louvre ( 1 et 2).

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